vendredi 17 juin 2011

Guide d'un petit voyage en Suisse, Jean Paulhan



c'est alors qu'il se passa l'événement de ce voyage, le plus digne d'être raconté.
Sous le coup de l'émotion, j'avais couru jusqu'à ma table, où je m'accoudai. J'allumai une cigarette. Le soleil brillait sur les mêmes montagnes, mais je lui trouvais je ne sais quoi de changé. L'on m'apporta une tasse de café, que je bus. Je me disais :" J'ai beau avoir éprouvé déjà pas mal de sentiments, il se peut que le plus étonnant de tous me fasse encore défaut." Ici je me rappelai bizarrement une réclame de pharmacie qui commençait pas ces mots:" Vous sentez-vous tout à fait aussi bien que vous le pourriez?" Ah, voilà. Evidemment je ne me sens pas aussi bien, je ne me suis jamais senti tout à fait aussi bien que je l'aurais pu.
(...)Ici je me sentis le bout du doigt brûlé par la cigarette qui, durant mon absence, s'était fumée toute seule, et je la plongeai pour l'éteindre dans une goutte de café. C'est alors, c'est précisément alors qu'il s'éleva au-dessus de la goutte un petit nuage blanc, exactement rond, de la grosseur d'une bille; c'est alors que le nuage devint plus blanc que la neige, d'une splendeur matinale(...)

j.Paulhan, Guide d'un petit voyage en Suisse, Gallimard, 1947

1 commentaire:

  1. Voilà qui me fait penser à Nicolas Bouvier...(nostalgia...nostalgie)

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