vendredi 29 octobre 2010

Vincent Van Gogh


1890

Le travail allait bien, la dernière toile des branches en fleurs, c'était peut-être ce que j'avais fait le plus patiemment et le mieux, peint avec calme et une sûreté de touche plus grande. Et le lendemain fichu comme une brute.
Je considère cela comme un naufrage.
Je désire profiter de cette période pour changer: je veux changer dans tous les cas, mon désir de partir d'ici est maintenant absolu. Ma patience est à bout, je n'en peux plus, il faut changer, même pour un pis-aller.
Entre quatre murs, on n'apprend que difficilement quelque chose de bon, cela se comprend, mais cependant est-il vrai qu'il y a des personnes qu'on ne peut pas non plus laisser en liberté comme s'ils n'avaient rien? Si dans quelque temps le mal revenait, ce serait prévu et selon la gravité nous pourrions voir si je peux continuer en liberté ou bien s'il faut se caser dans une maison de santé pour de bon.

samedi 23 octobre 2010

la huppe de Virginia, éditions des Aresquiers




La Huppe de Virginia verra le jour pour la première fois à Marseille le 30 octobre au salon du Livre d'artiste...et je m'en réjouis avec Véronique Agostini, maître d'oeuvre du projet!

mercredi 20 octobre 2010

Jeu et théorie du Duende, FG Lorca


Dedans le jardin

sera ma fin.

Dedans les rosiers

on va me tuer.

Pour cueillir, ma mère,

la rose, je vins,

je trouvai la mort

dans le jardin.

Pour couper, ma mère,

la rose j’allai,

je trouvai la mort

dedans les rosiers.

Dedans le jardin

sera ma fin.

Dedans les rosiers,

on va me tuer.

(…)

Par l’idée, par le son, ou des mimiques, le duende aime à être au bord du puits dans une lutte franche avec celui qui crée. L’ange ou la muse s’échappent avec un violon ou un compas, mais le duende vous blesse et c’est dans la guérison de  cette blessure qui ne se ferme jamais que setrouve ce qu’il y a d’insolite, d’inventé dans l’œuvre d’un homme.

La vertu magique d’un poème consiste à être toujours chargé de duende pour baptiser d’eau sombre tous ceux qui le regardent…

JEU ET THEORIE DU DUENDE, Federico Garcia Lorca

mardi 19 octobre 2010

La mer, la mère, le LIvre du Fils, C.L.Combet


Le sexe de l'amante s'était détaché du sexe de la mère, comme on a vu, en des temps fabuleux, des chapelets d'îles larguer leur continent matriciel et gagner le large des océans, chaque île bien fendue, chaque île crêpelue, chaque île farfouillue et l'amante en tête, capitale. Capitale de mon désir, songeait le fils, et capitale de mon avenir, femme à la proue.

Claude-Louis Combet, Le Livre du fils, Corti, 2010

vendredi 15 octobre 2010

Marseille, encore, Supervielle, Débarcadères, 1927


 Marseille », Débarcadères, 1927.

 

Marseille sortie de la mer, avec ses poissons de roche ses coquillages et l’iode,
Et ses mâts en pleine ville qui disputent les passants,
Ses tramways avec leurs pattes de crustacés sont luisants d’eau marine,
Le beau rendez-vous de vivants qui lèvent le bras comme pour se partager le ciel,
Et les cafés enfantent sur le trottoir hommes et femmes de maintenant avec leurs yeux de phosphore ,
Leurs verres, leurs tasses, leurs seaux à glace et leurs alcools,
Et cela fait un bruit de pieds et de chaises frétillantes.
Ici le soleil pense tout haut, c’est une grande lumière qui se mêle à la conversation,
Et réjouit la gorge des femmes comme celle des torrents dans la montagne,
Il prend les nouveaux venus à partie, les bouscule un peu dans la rue,
Et les pousse sans un mot du côté des jolies filles.
Et la lune est un singe échappé au baluchon d’un marin
Qui vous regarde à travers les barreaux légers de la nuit.
Marseille, écoute-moi, je t’en prie, sois attentive,
Je voudrais te prendre dans un coin, te parler avec douceur,
Reste donc un peu tranquille que nous nous regardions un peu
O toi toujours en partance
Et qui ne peux t’en aller
A cause de toutes ces ancres qui te mordillent sous la mer.

 

 

 

La Poésie à Marseille du 16 au 19 octobre, mais aussi tout le reste de l'année...

gravure de Veronique Agostini

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mercredi 13 octobre 2010

Tentatives nuageuses/tentation des nuages


 

Tentatives nuageuses

 

   Il fait souvent des « tentatives nuageuses », comme il les définit lui-même. Il se met à la fenêtre, se soulève sur la pointe des pieds, allonge le cou, ferme les yeux, puis, doucement, commence à balancer la tête. Jusqu’à ce que tout le corps oscille. Sa mère lui ordonne en hurlant de retourner à ses devoirs. Le beau-père s’isole dans sa chambre. Son frère ricane. Mais lui, obstiné, continue ses « tentatives nuageuses ». Aux psychologues qui l’interrogent à propos de son enfance, il répond en riant : « Moi ? Jamais eu d’enfance. Ces deux hommes et cette femme qui me persécutent, ils en ont eu une. Moi non. Je suis léger. Très léger. »

Ames inquiètes, M. Ercolani, L. Frisa, traduit de l'italien

 

 

 

 

 

mardi 12 octobre 2010

Mineur, un poème de Belem


Mineur
 
De la terre
il en connaît les boyaux
Il a rampé dans son ventre
s'est collé
frotté
cogné
aux parois dures ou tendres
Front
nez
menton
tout ce qui dépasse
s'est mis à plat ventre
est passé à la presse
n'en reste
que peau
feuille
jaunie
écrasée
lacérée
Seuls
brillent deux grands yeux de chouette
cernés de charbon
Deux yeux à la grande vailllance
aiguisés à la lame du noir
Deux yeux en cristal
se brisant
d'une raie
de lumière
 
Bélem le 21 juin 2010
 
pour les mineurs là-bas dedans la mine
 

samedi 9 octobre 2010

EST MORTE, Gertrude Stein, texte trouvé dans une revue suisse, LETTRES, de 1944


EST MORTE, Gertrude Stein

Un hôtel à la campagne n'a pas le même aspect qu'un hôtel dans une ville mais il l'a dans une petite ville. Ils allèrent tous à 'enterrement. Ils passèrent auprès du corps, ils baisèrent le crucifix, ils reçurent des bouffées d'encens et s'approchèrent de là où tous les cinq, peut-être davantage, se tenaient debout. Ce n'était pas si terrible.
Ils trouvèrent naturel qu'elle mourût. Elle tomba dans la cour sur le trottoir de ciment et se cassa les reins mais ne mourut point et ne sut pourquoi. Cinq jours après elle était morte.
Comprenez-vous ce que je dis.
(...)

jeudi 7 octobre 2010

Puisque beauté, il y a, Nathalie Riera et ce tableau, là, devant moi, d'Henri Darrasse,


Ce que j'aime entendre d'un poème : des notes d'air et de basalte; des désirs de disculpations, des virevoltes de danseurs; des déserts de cailloux; notes noires et blanches de nos joies.
N.Riera, Puisque beauté il y a, Lanskine, 2010


mercredi 6 octobre 2010

Pour Paul Nizon, la fourrure de la truite


...Les bagages, image de l'épuisement. Le jour baissait derrière la fenêtre. Il me semblait que la lumière déclinait par à-coups, et je me pris à pense : Et si ce n'était pas le jour, mais ma vue qui baissait? Déjà je me voyais, les mains tendues, tâtonner vers la sortie, et, dehors, fourrager dans l'air à la recherche de la rampe. Et appeler à l'aide. et si mon coeur lâchait? Ne reste pas là comme ça, remue-toi Je n'osais même pas enlever mon manteau. je pris le trousseau de clés sur la table à côté du fauteuil monumental et m'apprêtai à quitter l'appartement. Je fermai, descendis les marches d'un pas énergique - pour me donner du courage? En tout cas, je ne voulais pas qu'on me vît passer devant la loge avec cet air de chien battu.
A peine dehors, le peu de courage que j'avais rassemblé s'était déjà évanoui. Je traversai la rue et collai mon visage contre la vitrine d'une quincaillerie. Elle donnait à voir les objets les plus inutilisables, me semblait-il, tant ils étaient désuets (...). Un Hadès.
  A coté c'était un fourreur. Juste derrière la vitrine il y avait, sur un chevalet, une gravure coloriée montrant une coquette en fourrure, j'en déchiffrai le titre: La Fourrure de la Truite. La fourrure de la truite?

Paul Nizon, La fourrure de la truite, Actes sud babel, 2006

vendredi 1 octobre 2010

Quand les poèmes dialoguent: Le roi de soie blonde et le désir de soie, Aurélia Lassaque et Sylvie Durbec


Lo rei de seda saura

 

Engana l’aucelum e tuteja l’aura.

Quilhat dins l’èrba salvatja

A perdut sos uèlhs

Raubats a la vèsta d’un soldat.

Tres gojats son venguts

Qu’an escampat sas tripas pel sòl

Per i prene qualque dròlla mal pintrada.

 

Privat de son còs de seda saura,

L’espaurugal

Fa de sòmis descabestrats

Que desvarian los aucèls.

 

 Le roi de soie blonde

 

Il trompe les oiseaux et il tutoie le vent.

Dressé dans l'herbe sauvage

Il a perdu ses yeux

Volés à la veste d'un soldat.

Trois jeunes hommes sont venus

Qui ont répandu ses tripes sur le sol

Pour y prendre quelque fille mal mise.

 

Privé de son corps de soie blonde,

L’épouvantail

Fait des rêves débridés

Qui égarent les oiseaux.

Aurélia Lassaque, Ombras de luna



 Un désir de soie blonde

la main retient la colline

et les jambes entrouvrent le fleuve

on le distingue à peine à cause que

sa chevelure empêche de voir

si elle est faite d'oiseaux mouvants

ou de pins balancés par le vent

 

on dit de lui que son corps est de soie blonde

 

moi je crois que sa peau a la douceur

de ce qui s'en va doucement de soi

emporté par le temps et qui - parfois -  

nous revient aux lèvres

un baiser une caresse et tout aussitôt

s'emporte au loin et chavire

la main ne retient rien

les jambes se déprennent

 

reste le chant

celui d'un désir de soie blonde

 Sylvie Durbec, Un désir de soie blonde