Sylvie Durbec | une écriture de Brenne, suite.
Sylvie Durbec est écrivain, poète, traductrice. Elle vit près d’Avignon où elle est à l’origine d’une structure associative au service de la poésie et de la petite édition, laPetite Librairie des champs, à Boulbon.
À l’initiative de la FOL 36, elle a passé plusieurs mois en résidence en Brenne en 2009. Elle y a séjourné de nouveau en début d’année 2011. Elle nous a accordé cet entretien quant à son travail, en Brenne et par ailleurs.
Comment, d’Avignon, es-tu arrivée en Brenne ? Peux-tu revenir sur cette expérience de résidence en 2009 ? Était-ce ta première expérience de résidence ? Comment l’as-tu vécue au quotidien ?
En 2009, j’ai été contactée par Emmanuelle Dunand-Chevalier, de la F.O.L de l’Indre, pour travailler en Brenne et en Berry, écrire sur le paysage, écrire avec des enfants, écrire sur l’inconnu de ces territoires. Ce n’était pas ma première expérience de résidence ; j’ai eu la chance de partir deux fois en Finlande (missions Stendhal) et en Tunisie également.
Pour moi, c’est une forme d’aventure : partir sans trop savoir où l’on va, en sachant seulement qu’on aura devant soi un temps d’écriture, des lieux et des personnes à découvrir. Un travail à mener dont on ne sait pas toujours ce qu’il va être. À la recherche des mots. Chaque lieu a autour de lui des mots et des noms qui lui appartiennent et le désignent. Le Blanc, Douadic, Martizay, Mers-sur-Indre. Et les gens adultes et enfants, aussi ont des mots à partager, à échanger, à donner, parfois à abandonner à celui/celle qui passe : l’auteur en résidence.
Dès le début, avec le nom du Blanc, l’effacement, le recouvrement du passé par le présent m’ont requise. Puis ce fut la découverte de Douadic, camp de concentration dont j’ignorais jusqu’alors l’existence. Un pays ancien, fait d’eaux et de forêts où brutalement je retrouvais d’anciennes questions sur la disparition et la mémoire, comme ce que j’avais recherché sur la route de Malines en Belgique, lors d’une précédente résidence, en arpentant le camp de Breendonck, sur les traces de Sebald.
Au quotidien, ce fut la proximité avec la forêt, les gens, les oiseaux de Brenne. Et les enfants de Mers-sur-Indre, en compagnie de Claire Poulain-Cuénot.
Avec le recul, qu’est-ce qui t’apparaît comme le plus positif pour ton travail personnel ? Quel effet la résidence et ses contraintes ont sur l’écriture de l’auteure que tu es ? Le déplacement physique induit-il un déplacement du geste et du « territoire » d’écriture ?
Le temps ne manque pas en résidence.
Il déborde.
Non pas autour de soi comme une corde qui enserrerait jusqu’au cou vos chevilles et l’esprit. Non.
Lorsque je suis ainsi invitée à entrer dans un autre paysage que le mien, ici la Brenne,dans une autre maison que la mienne, j’expérimente des sommeils nouveaux, des appétits et des mouvements qui ne me sont pas habituels. Et un verbe se met à clignoter devant mes yeux comme un os pour le chien : partir.
Car partir ouvre la porte de la maison d’écriture mieux qu’une clé d’or. « Marcher à l’écriture »[1].
Ouvrir ainsi la langue en soi à une nouvelle manière.
J’aspire souvent à être délivrée. Du temps. De l’espace. Du poids de mon corps.
Être loin.
Mais loin, de quoi ? De moi, de mon ordinaire manière d’enfiler une nuit à un jour, ou plutôt de coudre avec maladresse l’une à l’un ou l’autre à l’une ?
Surtout loin de ma langue habituelle, des mots usités chaque jour.
Je ne crois pas que mon temps soit si précieux que je ne puisse lui laisser la bride sur le cou. Ici je reste souvent de longs moments inactive. Et puis je fais ce qu’on me demande.
Mais on ne me demande rien de précis : tenter d’écrire ce qui serait pour moi l’écriture de la Brenne, en tentant de prendre place en un lieu étranger. A moi de trouver comment faire.
Souriant parfois en imaginant Robert Walser en résidence de commis.
Commis à écrire. À commettre ce crime d’écrire qui nous est instamment demandé.
Merveille.
Un très joli recueil intitulé « Prendre place : une écriture de Brenne » a vu le jour au sortir de cette résidence. Peux-tu nous parler de ta collaboration avec les éditions Collodion ?
Collodion, c’est d’abord une histoire d’amitié. De longue date, nouée en d’autres lieux, en d’autres temps. Claire Cuénot et François Poulain, éditeurs. Ils vivent à Mers-sur-Indre et y ont installé leur maison d’édition. Le titre du recueil publié chez eux vient de Fred Deux, qui vit actuellement à La Châtre et qui est un artiste que j’admire. Lorsqu’on est invité en résidence, on pénètre dans un monde nouveau mais qui a toute une histoire et, peu à peu, il se dévoile. Au centre de l’écriture de Prendre place, il y a non seulement la Brenne mais le Berry où vivent Claire et François, Nohant et ses alentours où subsiste encore vive la présence de George Sand. Toutes ces rencontres relient le poète au monde, et ici l’amitié se renforce d’exigences et de goûts communs.
Cette année, tu as été conviée de nouveau par la FOL. Quels étaient les objectifs de ce retour sur le territoire de la région Centre ?
Retour vers la région Centre comme vers un lieu désormais partie prenante d’une géographie personnelle en même temps que partagée. Le projet était axé sur la mise en place durant plusieurs mois d’un atelier débouchant vers une réalisation concrète. Il concernait une vingtaine d’élèves de plusieurs classes de seconde, scolarisés au Lycée du Blanc, regroupés dans une option, Littérature et société. Ils ont d’abord travaillé avec une photographe puis en atelier d’écriture avec moi, à partir de textes de Michaux, Guillevic et Perec, atelier que nous avons prolongé par courrier électronique. Se faire à la langue, s’en défaire, se refaire une langue à soi, voilà ce qu’il leur était demandé à partir d’extraits des poètes que je leur avais donnés à lire. Enfin ils ont finalisé leurs travaux et avec les Mille Univers ont travaillé à la fabrication d’un livre. Pour moi, ce projet avait une résonance particulière puisqu’il me permettait de revenir vers un lieu important et en même temps de poursuivre un processus complet de création avec des lycéens, depuis leurs photographies jusqu’à l’aboutissement : livre, exposition. Leur demandant de trouver les quelques mots qui pour eux servaient de cadre à leur travail (prise de vue, écriture), je les faisais réfléchir à ce qu’est la création, l’invention d’un langage pour traduire notre rapport à ce que nous voyons et entendons.
Une publication naîtra-t-elle de cette nouvelle visite dans l’Indre ?
Publication certes, mais à laquelle je ne fais que participer avec un poème prologue, en compagnie des jeunes gens qui ont écrit pendant cet atelier. Ici rêve d’ailleurs est le titre du recueil.
on part de loin
pour arriver à peu de mots
dressés sur la table en guise d’inventaire :
neige fleur viaduc arrosoir
pierre qui sourit chien chat
pays lointain des jardiniers
épaule jeune fille un rat la route
et de ces archipels bâtis sur le sable
on a fait des murs
où inscrire ce qui disparaît
(…)
où habiter avec neige et vent
Quels sont tes projets dans un futur proche ?
D’abord regarder s’envoler le dernier livre publié : La Huppe de Virginia, aux éditions Jacques Brémond. Livre qui interroge les voix et la mémoire, voix de femmes, voix d’hommes, et la langue que parlent ces voix. Où je retrouve aussi Claire Cuénot puisque ce sont ces dessins qui ponctuent le recueil en ses différentes parties.
Ensuite suivre la Huppe au marché de la Poésie à Paris, à Lodève, aux Vendanges poétiques de Bédarieux en septembre.
Deux autres publications sont prévues, l’une, Parfois, au Dessert de Lune qui a publié en 2010 Chaussures vides, scarpe vuote, et l’autre, Ce rouge qui brillait, à l’Atelier du Hanneton. Et deux traductions de l’italien aux éditions des États civils, Âmes inquiètes et J’entends des voix.
Puis revenir à l’écriture : en retournant travailler au Monastère de Saorge qui reste pour combien de temps encore, un lieu consacré aux écrivains et aux artistes :
L’Idiot devant la peinture, un ensemble de textes autour de quelques figures de peintres comme Monticelli, Soutine et De Staël, sans oublier des figures féminines, mère, épouse, fille.
L’écriture des mères, un projet mené avec le peintre Guy Calamusa, sur l’importance de l’empreinte maternelle chez l’un et l’autre, poésie et peinture.
[1] Paul Nizon, rencontré à Dijon, dans le cadre du festival Temps de paroles en janvier 2011 où Sylvie Durbec était poète invitée en résidence brève.
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